Pierre Thomas, non-Mort pour la France

Pierre est né en 1872, aux Peintures dans le département de la Gironde. En 1897, il a vingt-quatre ans révolus, est encore mineur et habite à Saint-Médard de Guizières, chez ses parents et travaille, comme son père, en tant que cultivateur. Pierre sait lire et écrire et a reçu une éducation de niveau primaire complète.

Pierre, comme son frère François, a fait un passage sur terre, entre 1872 et 1918, 46 ans pendant lesquels les faits marquants, les traces qui restent semblent toutes être liées au service militaire puis à la guerre de 14-18 et enfin à sa mort en Octobre 1918.

Cette mention « Non-mort pour la France » ne veut pas dire qu’il n’est pas mort (non-mort), mais au contraire que sa mort, bien que déclarée alors qu’il était encore mobilisé, n’est pas due à un fait de guerre. Ils seront 95’000 à ne pas obtenir la mention pendant la « grande guerre ». Effectivement, Pierre est mort d’une broncho-pneumonie (il faut lire grippe espagnole) à l’hopital Saint-Agne de Toulouse le 13 octobre 1918.

N.B. Guillaume Apollinaire est lui aussi mort en novembre 1918 de la même maladie, mais lui, est « Mort pour la France ». Une différence qui tient au fait que Apollinaire a bataillé pour être reconnu français et y est parvenu en 1916. Mais quand même…

Pierre est quand même cité sur le monument aux morts de la ville de Saint-Médard de Guizière (Gironde). Cela me fait plaisir!

Pierre était l’aîné de la famille (avec 2 frères et 3 soeurs plus jeunes, dont François, le grand-père paternel de mon papa). Il mesurait 1m61, ce qui vScreenshot 2019-08-18 at 15.09.46.pngeut dire qu’il était aussi le plus grand de la famille. Il était blond aux yeux gris et à 20 ans, en 1892, avec le matricule numéro 1146, il est bon pour le service militaire.
En 1893 (même en étant de la classe 1892), à 21 ans donc, il part en voyage et intègre le 6ème RCA qui est un régiment de cavaliers, basé dans le sud Oranais, à Mascarat, en Algérie, où il restera 3 ans, conformément à la loi Frécinet, du 15 juillet 1889, qui porte le service militaire à trois ans. Avec le numéro 89 au tirage, il ne risquait pas de voir son temps réduit (les plus chanceux faisaient seulement une année de service, grâce au tirage).

caserne Mascarat
La caserne à Mascarat

Il fut libéré en Octobre 1896, mais passé dans la réserve de l’armée active, c’est-à-dire qu’il devait se tenir prêt à reprendre les armes en cas de guerre. Nous supposons, en lisant ce texte ci-dessous, qu’il a passé 6 jours en prison pour divers faits « criminels » pendant son service.
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Le 3 octobre 1896, donc, il rentre d’Algérie et quelques mois plus tard, le 25 février 1897, il épouse Marguerite Renard (dont la soeur, Marguerite (!) s’est également mariée un mois plus tôt) à Saint-Médard de Guizières. Je n’ai pas trouvé de descendance mais je cherche encore. Affaire à suivre…

Après avoir fait plusieurs exercices dans différents corps d’armée, il est mobilisé comme les autres en août 1914 puis est envoyé à la poudrerie de Toulouse en juin 1915. En juillet 1917, il passe au 14ème Régiment d’infanterie où il sera jusqu’à sa mort en octobre 1918. Screenshot 2019-08-18 at 22.30.02.pngIl s’agit ici d’un autre régiment d’artillerie, mais aussi en campagne dans l’Aisne au printemps 1915, alors cela nous donne une idée de la réalité de notre grand-tonton.

Je n’ai pas trouvé trace de sa présence à l’hôpital, par contre, d’après mes recherches, il serait mort de la grippe espagnole, qui a tué encore plus de monde que la grande guerre. Oui, cela est possible! 230000 soldats auraient été touché par le virus entre septembre et novembre 1918. Accablante, elle surgit au moment où la population est épuisée, les transports sont interminables etc. Les cérémonies et les fêtes de fin de guerre amplifient les rassemblements, favorisant ainsi les contaminations. Si Pierre avait été proche de sa famille à ce moment-là, il aurait transmis le virus à ses proches, donc dans son malheur et par son isolement, il a sauvé de nombreuses vies, sans le savoir.

Screenshot 2019-08-18 at 16.28.56.pngDurant cette période, une personne sur 240 meurt de la grippe espagnole, mais Pierre ne fait pas partie de ces statistiques, puisqu’officiellement, il est mort d’une broncho-pneumonie, un terme utilisé pour réduire la panique générale. L’épidémie précédente et tout aussi tueuse avait été nommée influenza (1890), et on se réfère donc à elle pour parler de la nouvelle épidémie et contrôler les réactions paranoïaques des foules.

Pas de chance pour notre grand-tonton!

Pierre n’a pas (vraissemblablement) passé de temps dans les tranchées, mais cette grippe fulgurante lui a apporté une mort tout aussi terrible. Voici une explication tirée d’un arricle très intéressant de Pierre Darmon(1)

En savoir plus sur la grippe espagnole et comment les hasards n’en sont pas finalement.

 

 

(1) Une tragédie dans la tragédie : la grippe espagnole en France
(avril 1918-avril 1919) article par Pierre Darmon (Annales de Démographie Historique Année 2001 2000-2 pp. 153-175)

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